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© Lord Snowdon, Sophia Loren beside a Francis Bacon at The Villa Ponti (“Love Is the Centre of My World”, Vogue, December 1970)
« C’est Léonard qui a inventé l’idée de faire un portrait avec un sourire. Il n’y a pas de portrait souriant avant La Joconde, à l’exception du tableau d’Antonello de Messine, l’Homme qui rit, conservé à Cefalu en Sicile.
Léonard a peint un certain nombre de portrait, à Milan celui d’Isabelle d’Este, le dessin qui est au Louvre et deux portraits florentins, le premier est le Portrait de Ginevra de Benci aujourd’hui à Washington et l’autre celui de Monna Lisa.
Le Joconde sourit parce que son mari, Francesco del Giocondo, a commandé son portrait au plus grand peintre du temps, Léonard de Vinci, pour fêter leur déménagement dans une maison plus grande de Florence suite à la naissance du deuxième enfant qu’elle vient de lui donner.
C’est un tableau de bonheur, où une jeune femme de vingt-deux, vingt-trois ans, qui a déjà donné deux enfants mâles à son mari, est honorée par l’amour de celui-ci à travers ce portrait.
Mais ce tableau, elle ne l’aura jamais, puisque Léonard le gardera pour lui. Francesco del Giocondi n’aurait pas accepté le tableau fini parce qu’a l’époque c’était un tableau scandaleux inadmissible : le sourire est incorrect et la jeune femme est plantée devant un paysage préhumain, affreux, terrible.
Le sourire de la Joconde : l’instant de grâce entre le chaos du passé et le néant à venir.
Le sourire lie la figure au paysage à l’arrière plan. Le paysage est incohérent, dans la partie droite il y a des montagnes très hautes et tout en haut un lac, plat comme un miroir qui donne une ligne d’horizon très haute. Dans la partie gauche au contraire l’horizon est beaucoup plus bas et il n’y a pas moyen de concevoir le passage entre les deux parties. C’est du coté du paysage le plus haut que sourit la Joconde, la bouche se relève très légèrement de ce côté là et la transition impossible entre les deux parties du paysage se fait par le sourire de la figure
Léonard est un grand admirateur d’Ovide et de ses Métamorphoses. Or pour Léonard comme pour Ovide, c’est un thème classique et courant, la beauté est éphémère. Il y a de fameuses phrases d’Hélène chez Ovide à ce sujet : « Aujourd’hui je suis belle mais que serais-je dans quelques temps ? ».
C’est ce thème là que traite Léonard mais avec une densité cosmologique extraordinaire car La Joconde c’est la grâce, la grâce d’un sourire. Or le sourire c’est éphémère, ça ne dure qu’un instant. Et c’est ce sourire de la grâce qui fait l’union du chaos du paysage qui est derrière. C’est à dire que du chaos on passe à la grâce, et de la grâce, on repassera au chaos. Il s’agit donc là d’une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une réflexion sur le temps qui passe. On passe donc, avec ce sourire éphémère de la Joconde, du temps immémorial du chaos au temps fugitif et présent de la grâce mais on reviendra à ce temps sans fin du chaos et de l’absence de forme.
Le pont est le symbole du temps qui passe ; s’il y a un pont, il y a une rivière, qui est le symbole banal par excellence du tempa qui passe. C’est un indice donné au spectateur que l’étrangeté du rapport entre ce paysage chaotique et cette grâce souriante est le temps qui passe. Le thème du tableau c’est le temps. C’est aussi pour cette raison que la figure tourne sur elle-même, car un mouvement se fait dans le temps. »
© Daniel Arasse, Histoires de peintures, Ed Gallimard (posthume, 2004), 360 p.
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© Keystone-France/Gamma-Keystone. Sophia Loren And The Mona Lisa, Louvre Museum, Paris, 1964
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